Nombreuses sont les grandes sociétés de services aux collectivités ou ‘Utilities’ qui ont évolué ces dernières années dans le sens d’un décarbonation de leur portefeuille d’activité. Les nouvelles sources d’énergie comme l’éolien et le solaire sont devenues bien plus compétitives favorisant la transition énergétique dans le contexte du changement climatique
Stéphanie Faibis, responsable gestion assurantielle actions, et Sylvie Sauvage, responsable de la recherche crédit Investment Grade en charge des Utilities, analysent la transition du secteur « Utilities » et les opportunités offertes pour la gestion assurantielle actions.
POINTS CLÉS
- Les engagements pris dans la réduction des gaz à effet de serre devraient entrainer une croissance prévisionnelle de 6 % à 8 % par an des énergies renouvelables jusqu’en 2050, ce qui constitue une opportunité pour la gestion assurantielle.
- Les Utilities ou ‘Services aux Collectivités’ sont au cœur des enjeux de la transition énergétique, et il s’agit désormais d’un secteur de croissance attractif pour un investisseur long terme.
- Parmi les Utilities qui ont su repositionner leurs activités vers la transition énergétique, nous privilégions les sociétés intégrées – cumulant production et distribution d’énergie – avec une bonne maîtrise de toute la chaîne de valeur, qui bénéficient d’une meilleure diversification et d’une expertise reconnue.
- Nous privilégions également les sociétés qui ont une crédibilité opérationnelle, ainsi que les acteurs de dimension mondiale, capables de bénéficier d’opportunités de marché dans différentes régions du monde, et de tirer parti des économies d’échelle.
- Investir sur des actions du secteur des Utilities, avec des critères stricts, devrait entrer dans la cadre des thématiques privilégiées par les assureurs, à savoir des valeurs de croissance avec un caractère défensif, des rendements en croissance et surtout pérennes, tout en contribuant à la transition énergétique.
La réduction des gaz à effet de serre : une urgence écologique qui se traduit par des engagements forts
Faisant suite aux accords de Paris en 2015, une révolution du mix énergétique est engagée et vise à faire passer la part des énergies renouvelables à 80 % dans le mix énergétique d’ici 2050.
Cet enjeu permettrait de limiter le réchauffement climatique à 2°C d’ici la fin du siècle par rapport à l’ère préindustrielle.
Le Pacte Vert pour l’Europe – plus ambitieux que le précédent plan de la commission européenne du point de vue de la réduction des émissions de gaz à effet de serre – mais aussi sous l’angle financier par les montants en jeu.
Décidé par la Commission européenne en 2019 dès l’élection de sa présidente Ursula von der Leyen, il fait de l’écologie un des chantiers majeurs du nouveau mandat. Financé à hauteur de 1 000 milliards d’euros sur 10 ans il vise à diminuer de 55 % les émissions de gaz à effet de serre en 2030 par rapport à 1990. Cela représente une amélioration de 15 % par rapport à l’objectif horizon 2030 qui avait été fixé par le précédent plan en 2014.
Nous prévoyons une croissance de 6 % à 8 % par an des énergies renouvelables jusqu’en 2050
3 catalyseurs de la croissance des énergies renouvelables
La décarbonation de l’électricité produite. Dans le monde, 2/3 de l’électricité est générée à partir de sources carbonées (principalement charbon et gaz). Leur substitution représente une opportunité de croissance majeure pour les renouvelables
L’électrification de l’énergie produite, comme l’électrification des transports, pourrait faire passer à elle seule l’usage de l’électricité de 20-25 % à 50 % du mix énergétique en 2050.
Le développement de l’hydrogène vert
L’hydrogène est aujourd’hui produit à plus de 95 % à partir d’énergies fossiles, concrètement, pour faire une tonne d’hydrogène, on rejette 10 tonnes de Co2 dans l’atmosphère. La production d’une tonne d’acier met 2 tonnes de CO2 dans l’atmosphère… L’hydrogène n’a de sens écologique que s’il est produit à partir d’énergie décarbonée. Cette énergie est particulièrement intéressante pour des secteurs où l’électricité reste peu adaptée comme les transports lourds, l’industrie de l’acier, ou l’industrie cimentière, secteurs qui totalisent environ 20 % des émissions de Co2.
Quelles opportunités pour la gestion assurantielle ?
Le Pacte Vert s’inscrit dans le long terme, il s’accorde donc avec notre horizon d’investissement centré sur les sociétés disposant d’un ‘business model’ pérenne et visible.
Par ailleurs, la thématique des énergies renouvelables est cohérente avec notre souhait d’investir dans les ‘mega trends’ structurels.
Enfin, le projet correspond parfaitement à la mission que nous ont confié nos clients de concrétiser leurs engagements climat par des prises de participation dans des sociétés cotées.
Les ‘Utilities’ : un secteur porteur pour investir dans la transition énergétique ?
Les Utilities sont au cœur des enjeux de la transition énergétique et couvrent quatre secteurs d’activité : production, transmission, distribution et vente d’électricité et de gaz. Elles offrent une empreinte géographique large, et la possibilité d’utiliser des technologies variées : solaire, éolien onshore, éolien off-shore, etc… Le secteur ne figure pas parmi les meilleurs créateurs de valeur pour les actionnaires au cours des 10 dernières années. Les perspectives offertes par la transition écologique et un recentrage des activités des Utilities vers des activités moins volatiles, rendent aujourd’hui le secteur plus attractif pour un investisseur long terme.
Le rendement potentiel, seul attrait des utilities ?
Justement non – car c’est désormais aussi un secteur de croissance avec des acteurs historiques qui se transforment et se concentrent sur leur cœur de métier tout en réinvestissant leur génération de trésorerie sur les énergies de demain.
Bien sûr, cette croissance a un coût. Le développement des projets d’infrastructures renouvelables présente un profil de rentabilité très étalé dans le temps, le retour sur investissement (payback) s’étalant sur une vingtaine d’années. Les Utilities investissent du capital en visant des profits à long terme.
Ceci étant dit, dans un contexte de faible croissance de la consommation électrique en Europe (-1.3% entre 2008 et 2018 sur la zone EU27 à comparer avec +18% entre 1998 et 2008), l’investissement dans les infrastructures renouvelables devrait garantir in fine une meilleure rentabilité sur capitaux investis et une meilleure visibilité sur les revenus et les projets grâce à un cadre réglementaire et contractuel favorable : adjudications d’Etat, fixation des prix à long terme avec une contrepartie, priorité d’accès sur le réseau par rapport aux ressources fossiles… Cela devrait permettre à terme de constituer une production financière régulière et pérenne.
Les rendements sont-ils pour autant moins attractifs qu’auparavant ?
Non – tout du moins pour les Utilities intégrées qui certes orientent leurs budgets d’investissement vers les énergies renouvelables mais continuent tout de même à payer des dividendes stables ou en croissance.
Le rendement moyen du dividende sur les Utilities reste aujourd’hui supérieur au marché et avoisine les 4 % (6 % sur les régulées). Le taux de distribution est de 70 % sur les intégrées (85 % sur les régulées). Par comparaison, et c’est une des raisons pour lesquelles nous ne les trouvons pas attractives en ce moment, les valeurs d’hyper croissance du secteur dont on vient de parler distribuent 1 % de leur capitalisation comme Orsted 1,3 % (le ratio de distribution des dividendes est de 50 à 60 % des bénéfices) ou EDPR 0,5 % (payout de 18 %), mais pour la plupart, c’est ZERO, le cash-flow étant entièrement réinvesti dans la croissance.
Un secteur condamné à recevoir des subventions ?
Les progrès techniques laissent aujourd’hui espérer des gains de productivité de l’ordre de 1 % à 2 % par an. Certes, le secteur a été nourri par le passé en pépinière par des subventions. Désormais, les nouveaux projets sont beaucoup moins subventionnés grâce à la recherche technologique qui a permis d’abaisser considérablement les coûts de production. Dans le solaire, le prix de revient de la production d’énergie a baissé de 90 % depuis 2000. Avec certaines technologies comme l’évolution de la chimie des panneaux solaires, on pourrait encore plus que doubler le taux d’efficacité en laboratoire. Pour ne citer que l’exemple de l’énergie solaire, les nouvelles technologies permettent de réaliser aujourd’hui des rendements de 25 % en laboratoire (ratio énergie sortie / énergie entrée) et certains experts considèrent comme crédible d’atteindre des rendements de l’ordre de 40 %. Il y a 15 ans, le rendement moyen des cellules de panneaux solaires était encore de 4 %.
Signe des temps, la dernière adjudication en Espagne s’est faite à 25€ du Mw/h sur le solaire et l’éolien terrestre vs le prix européen moyen de l’électricité à 40/45€. Cela montre les gains de productivité effectués par les sociétés du secteur. Le Taux de rendement est de 5 % sur le solaire à ce prix-là, pour un coût du capital de 4-6 % selon les sociétés et le risque pays. Le payback d’un projet renouvelable est en moyenne de 20 ans correspondant aux contrats à 10/20 ans pour l’approvisionnement du réseau.
Avec l’irruption sur le marché des acteurs pétroliers et financiers, le marché n’est-il pas trop concurrentiel ?
La nouveauté sur le segment est qu’il y a de la place pour tous les acteurs – sociétés de niche, sociétés historiques intégrées, y compris les majors pétrolières et gazières qui se réinventent pour certaines d’entre elles tout en conservant une forte capacité de génération de cash-flow. Nous pensons que les majors pétrolières ne peuvent pas se permettre de baisser les rendements de leurs projets de manière inconsidérée par rapport aux profits attractifs réalisés sur les hydrocarbures. Quant aux acteurs purement financiers, ceux-ci ont un coût du capital plus faible et acceptent moins le risque de construction, préférant souvent acheter des projets déjà bâtis. Il est à noter que pour la première fois en 2020, le monde a plus investi dans les énergies vertes ($500mds) que dans les énergies fossiles ($400mds).
Quelle est la marge de manœuvre de ces sociétés si les taux remontent ?
Les Utilities sont l’un des plus gros émetteurs de dettes obligataires Corporate avec une vingtaine de Utilities ayant déjà émis des obligations depuis le début de l’année (pour un montant d’environ €15Mds)
Nous nous attendons à un endettement en hausse afin de financer le mur d’investissement qui correspond à la transition énergétique.
On peut légitimement se poser la question de la marge de manœuvre de ces acteurs en cas de hausse des taux. Nous restons confiants sur leur capacité à rester des acteurs avec la meilleure qualité de crédit. En effet, Standard & Poor’s a récemment assoupli ses exigences de ratios financiers pour une même notation afin de permettre aux Utilities de financer la transition énergétique. Par exemple, Iberdrola doit désormais atteindre un ratio de Funds From Operations/ Dettes nettes supérieure à 17 % contre 18 % auparavant pour rester notée BBB+. De même, l’émission de dettes hybrides est un instrument qui entre dans le calcul des ratios d’agences et qui permet aux Utilities de stabiliser leurs notations. La marge de manœuvre de ces acteurs demeure satisfaisante si les taux remontent et devrait leur permettre de rester dans la catégorie Investment Grade avec une notation moyenne autour de BBB/BBB+, et donc un accès au crédit à des conditions attractives.
Du point de vue des actions, le secteur est aujourd’hui favorisé par le contexte de taux bas, car les investissements sont importants et nécessitent un financement de marché. L’endettement du secteur reste élevé avec une dette économique à 4 fois l’EBITDA pour les Utilities intégrées (sociétés cumulant production et distribution d’énergie) n’épargnant pas les acteurs les plus agressifs dans la croissance. Nous pensons que la prudence recommande d’investir dans ces Utilities intégrées dont une partie des revenus est sécurisée car régulée (50 % de revenus chez Iberdrola et Enel sont régulés via les réseaux) et des portefeuilles bien équilibrés.
Il y a donc un point de vigilance en lien avec la remontée des taux. Nous prévoyons dans ce cas de figure un ajustement sur toute la chaine de valeur. Notre scénario reste toutefois celui d’un contexte de taux bas.
Quel sont les meilleurs véhicules d’investissement pour la gestion assurantielle actions ?
Nous investissons uniquement sur les sociétés qui ont su repositionner leurs activités. Notre politique charbon nous conduit à éliminer les acteurs qui n’effectuent pas assez vite la transition énergétique.
Les Utilities qui avaient des matières premières dans leur portefeuille (divisions d’exploitation de champs d’hydrocarbures chez Engie ou RWE) ont commencé à céder les actifs les plus volatils ou non synergiques avec le reste des opérations. Les managements se sont adaptés et les portefeuilles ont été remaniés. Les sociétés de services aux collectivités se sont réorientées vers les 3 métiers principaux que sont la génération d’électricité propre, le transport de l’électricité et du gaz, la fourniture d’énergie.
Au sein d’un secteur devenu plus défensif, on privilégiera les Utilities intégrées, par conséquent mieux diversifiées et avec une expertise reconnue.
Depuis 2017, le secteur s’est montré par lui-même défensif en ce qui concerne la croissance des bénéfices. Sur la période 2018/19, ceux-ci ont largement battu le marché ayant été en croissance de 9 % (Eurostoxx Utilities) contre -6 % pour le marché (Euro Stoxx). Sur l’année 2020 les bénéfices par action des Utilities ont encore largement surperformé le marché (-8 % contre -34 %). Elles n’ont pas encaissé, comme le marché dans son ensemble, le choc de la chute du commerce international. En termes de performance boursière les Utilities étaient le troisième meilleur secteur en 2020 (DNR) derrière la Technologie et les Services & Produits de Consommation Courante.
Notons également que la contractualisation des ventes, agissant comme un facteur de stabilisation des revenus et des bénéfices, est devenue la nouvelle norme, cela s’appliquant tout particulièrement aux contrats d’énergies renouvelables. Auparavant, dans une Europe à la consommation d’électricité croissante (en volume), les sociétés se couvraient moins face aux mouvements des prix de l’électricité, voire spéculaient (activités de trading). Les profils de chiffre d’affaire sont devenus beaucoup plus sûrs. Illustration de ce phénomène, les activités de réseaux régulées sont passées d’un peu plus de 30 % des profits en 2008 à 50 % aujourd’hui chez les acteurs européens cotés.
Plus globalement, nous nous intéressons aux profils intégrés, associant différents segments, fourniture d’énergie au consommateur final, actifs régulés (réseaux) de grande valeur, génération renouvelable, permettant d’associer génération de trésorerie, croissance et une bonne maîtrise de toute la chaîne de valeur. Les sociétés purement orientées vers les nouvelles énergies ne conviennent pas à la taille des encours de notre gestion assurantielle, et sont actuellement valorisées sur des multiples de valeurs de haute technologie, ce qui fait hésiter les majors lorsqu’il faut payer le prix. La volatilité de leur cours ne convient pas toujours aux investisseurs assurantiels.
Nous privilégions les sociétés bénéficiant d’une bonne crédibilité opérationnelle se caractérisant par la qualité et l’expérience de leurs dirigeants.
En effet, nous sommes particulièrement attentifs à la qualité des équipes dirigeantes que l’on regarde aussi sous l’angle de la gouvernance, ainsi que des acteurs de dimension mondiale, capables de bénéficier d’opportunités de marché dans différentes régions du monde (rappelons que ces acteurs sont souvent d’anciens monopoles nationaux). De plus, les économies d’échelles sont très présentes sur ces segments. 75 % des coûts d’un projet d’infrastructure renouvelable provenant de l’équipement. Par ailleurs, ces projets bénéficient d’effets de levier agressifs (comme dans d’autres projets d’infrastructures, ceux-ci embarquent assez peu de risque), qui rendent le coût de l’endettement critique. Avoir la crédibilité associée à la taille aide à garder des coûts de financement bas. Ces acteurs sont aussi les mieux positionnés pour bénéficier de la consolidation d’un secteur encore immature : Enel, leader mondial dispose d’une part de marché de l’ordre de 2 %. La taille donne également plus de possibilités pour se redéployer dans les pays avec une stabilité règlementaire et juridique.
Les Green Bonds – Quels avantages pour l’investisseur ?
Les Utilities sont parmi les entreprises les plus émettrices de Green Bonds. Ce sont des obligations vertes dont la levée de fonds sert à financer la transition énergétique, par exemple la construction d’un parc de fermes éoliennes. Parmi les 20 émissions obligataires du secteur depuis le début de l’année, 7 étaient des obligations destinées à financer la transition énergétique (41% du volume d’émission). Ces émissions ont été largement sursouscrites, traduisant l’appétit des investisseurs pour la finance durable. Le souscripteur bénéficie du double avantage de participer à la transition énergétique et d’investir dans des sociétés mieux notées du point de vue ESG.
Conclusion
Investir dans les actions du secteur des Utilities, avec des critères stricts, fait écho à notre volonté de sélectionner, pour nos clients assureurs, des actifs de qualité. Ces investissements sont intégrés au sein de nos trois stratégies assurantielles actions Sector Leaders, Sustainable growth, High Quality Dividend. Ils correspondent aux thématiques privilégiées par les assureurs, à savoir de valeurs de croissance avec un caractère défensif, avec des rendements en croissance et surtout pérennes. Ils sont également cohérents avec leurs politiques de Responsabilité Sociétale de l’Entreprise (RSE), leur permettant de contribuer à la lutte contre le changement climatique. L’analyse des entreprises, à la fois thématique, financière et extra-financière vise à leur fournir des instruments qui cherchent à limiter leurs risques ESG, et en particulier climatiques.
Source : Ostrum AM