La livraison la plus récente des indicateurs conjoncturels américains est bonne. L’activité économique s’améliore ; qui plus est avec beaucoup de tonicité. Il faut s’en réjouir, mais en gardant la tête froide. Le point haut en termes de croissance est pour bientôt. Quid de l’après ? Le redémarrage ne se fait pas sans à-coups. Avec quelles conséquences ? Le marché de l’emploi n’est au mieux que convalescent. En sachant que des changements structurels devraient intervenir assez vite. La politique économique est à l’heure actuelle un maillon crucial de la relation entre économie et marchés. Vit-on un moment d’initiatives historiques ?
Ça y est ; l’économie mondiale se met à fonctionner sur deux moteurs ! Après le chinois, allumé depuis près d’un an, cela semble bien être au tour de l’américain de « monter dans les tours ». Comment alors ne pas être conforté sur les marchés que la reprise est cette fois-ci vraiment « au coin de la rue ». Le « bateau » européen, encore encalminé par les vents contraires de l’épidémie de COVID et d’une vaccination qui peine à se généraliser à la bonne vitesse, ne peut que rejoindre le convoi d’une croissance plus allante. Ne va-t-il pas profiter d’une demande extérieure plus forte ; ce qui viendra utilement seconder le réveil d’ici peu (c’est promis !) des dépenses domestiques ?
Il faut dire que les premiers indicateurs conjoncturels, retraçant l’activité économique aux Etats-Unis pour le mois de mars, sont impressionnants. Ne retenons que ceux des derniers jours et notons :
Un indice ISM manufacturier à 64,7 (rappelons que la « ligne de partage des eaux » entre repli et avancée des affaires est à 50 ; le niveau atteint est exceptionnellement élevé ; 916 000 emplois ont été créés dans le secteur non-agricole ; une fois encore, le chiffre est énorme ; la moyenne mensuelle d’une « bonne année » est autour de 200 000. On disait les branches non-manufacturières (services, construction et agriculture) en retard par rapport aux industries manufacturières et voilà qu’elles comblent leur retard avec une tonicité remarquable. L’indice ISM correspondant gagne plus de 8 points et à 63,7 « tutoie » sa référence complémentaire.
Voici donc un premier trimestre qui en termes de croissance se termine bien outre-Atlantique. Ce qui suggère aussi un bon démarrage du suivant. Comment dans ces conditions ne pas caresser l’idée de revoir à la hausse la progression des PIB de T1 et de T2 ? Vers des rythmes, d’une période à l’autre et en rythme annuel, supérieurs à 10% ?
Cette accumulation de faits et d’implications positifs ne doit pas « donner le tournis ». Tentons de garder la « tête froide » et faisons quatre commentaires. Les « problèmes de riches » sont aussi des points à savoir traiter !
Premièrement, il faut se préparer au moment de l’inflexion du tempo de la croissance américaine. Les indicateurs conjoncturels vont se retourner au cours des prochains mois et le PIB va ralentir. Ce n’est en rien un drame ; mais il y a ici un point de vigilance. Quelle sera l’ampleur du ralentissement à venir ? Avec quelles implications sur les anticipations (dont les profits et la politique monétaire) et la psychologie ?
Deuxièmement, il faut avoir conscience que ce « réveil du printemps » économique, auquel on assiste actuellement, ne se fait pas d’une façon toujours bien ajustée. Le redémarrage est parfois un peu compliqué, comme s’il y avait pas mal de « grains de sable » dans les rouages de l’activité ! Il suffit pour s’en rendre compte de regarder du côté des délais de livraison, tels que rapportés par le détail des enquêtes ISM. Ils sont à des niveaux très élevés, voire même « stratosphériques » dans le secteur manufacturier. Le marché a déjà repéré les tensions sur les prix tout en amont du processus de transformation et de distribution. Cette réouverture compliquée pourrait-elle prendre des formes différentes, avec peut-être des retards de production qui pèseraient sur la demande ? Et puis, et de façon plus fondamentale, les difficultés du moment ne pointent-elles pas en direction de chaines de valeur en train d’évoluer ? tout va-t-il se faire de façon lissée et sans heurts ?
Troisièmement, les « gros chiffres » de l’emploi américain ne doivent pas masquer une situation qui reste compliquée, voire mauvaise. Distinguons la situation actuelle et celle qu’on peut dessiner pour demain. A aujourd’hui, le taux de chômage large (U6) reste élevé : 10,7%, soit près de 4 points de plus qu’avant l’épidémie. Qui plus est, le taux de participation ne donne guère de signes de repartir à la hausse.
Passons à demain. Comment ne pas se dire qu’une nouvelle étape d’automatisation/digitalisation du travail va assez vite s’ouvrir. Elle impactera la dynamique des créations d’emplois et les moins qualifiés d’entre les employés traverseront une période de transition probablement éprouvante.
Quatrièmement, il faut être attentif à l’intermédiation par la politique économique de la relation entre l’économie et les marchés de capitaux. On vit, surtout aux Etats-Unis, un moment assez particulier : comme il y en a assez peu dans le cours de l’histoire. Le débat dans la communauté des historiens américains (en remarquant au passage qu’un petit nombre des plus éminents d’entre eux a été reçu à la Maison Blanche la semaine dernière pour une séance de travail de 2 heures avec le Président) est de savoir s’il faut inscrire les initiatives Biden dans le sillage de celles prises en leurs temps par Roosevelt et Johnson. Rien que cela ! La mémoire collective, pas que les manuels d’histoire, garde la trace des transformations conduites et de leurs conséquences à la fois économiques et sur les marchés .
Source : La Banque Postale Asset Management par Hervé Goulletquer