Le diagnostic a été posé : les marchés financiers voient venir une accélération des prix. N’est-ce pas le message envoyé par les Breakevens ? Il n’empêche qu’il est nécessaire de s’interroger sur le distinguo à faire entre Breakeven et anticipations inflationnistes ? Si on accepte que les deux notions ne sont pas similaires, alors on devrait admettre que le marché ne pointe pas vraiment en direction de plus d’inflation au cours des années à venir. N’est-ce pas d’ailleurs aussi le message envoyé par la forme inversée de la courbe des Breakevens ?
Du côté de l’économie, il y a certes des pressions haussières tout en amont du processus de transformation des produits bruts. Mais, comme toujours, la « perte en ligne » d’ici à l’aval est très importante. Reste la question du comportement d’épargne des ménages ; peut-il être générateur de plus d’inflation ? Disons que si c’est évidemment possible, cela semble peu probable.
Reprenons le débat sur l’inflation. Le marché croit qu’il existe un risque d’accélération des prix ; principalement aux Etats-Unis. A-t-il raison ? Proposons, pour tenter de répondre à cette difficile question, une approche en deux temps : 1) que nous dit vraiment le marché ? 2) qu’observe-t-on du côté de l’économie réelle ?
Commençons par le message des marchés et nous allons nous concentrer sur la formation des anticipations inflationnistes aux Etats-Unis. On l’a déjà signalé ; depuis le point bas atteint sur le rendement d’un titre d’Etat à 10 ans, le 4 août dernier, la remontée des taux longs est le fait à la fois de la prime de terme (changement à venir du réglage monétaire) et du Breakeven (écart entre taux nominal et réel). Ce dernier mouvement est considéré comme traduisant regard porté sur les évolutions attendues de l’inflation.
Reste à s’assurer que le Breakeven est un estimateur sans biais des anticipations inflationnistes. Pour ce faire, revenons vers la théorie financière. Celle-ci nous rappelle (on pourra se référer à Tips from TIPS: Update and Discussions, Board des gouverneurs de la Fed américaine, 21 mai 2019). Le point d’attention est que le Breakeven peut diverger de l’anticipation inflationniste aux titres de la prime de risque d’inflation et/ou de celle liquidité. Cette dernière a beaucoup « gigotée » depuis un peu plus d’un an ; ce qui tend à masquer des anticipations inflationnistes en fait assez stables. De quoi relativiser le risque inflationniste !
Un dernier point sur le sujet ; la courbe des Breakevens n’envoie pas à l’heure actuelle le signal d’une dynamique inflationniste résolument engagée. Il en serait ainsi si, année après année, la conviction était que les prix allaient accélérer. Or, le profil de la courbe dévoile une modeste inversion !
Passons à l’économie réelle et insistons d’abord sur la déroulé de court terme. L’attention est une fois encore avant tout américaine. La puissance des mesures de soutien ne va-t-elle pas « chauffer à blanc » la demande reçue par l’offre domestique et générer plus d’inflation ? Tenter de répondre revient pour beaucoup à comprendre le comportement des ménages à ce moment si particulier caractérisé par la réception de chèques en provenance du gouvernement fédéral. Eh bien, la volonté d’épargner reste forte, ce qui est plutôt cohérent avec une confiance qui peine à revenir au niveau d’avant l’épidémie. S’agit-il d’un manque de visibilité sur la sortie de la crise sanitaire ou doit-on plutôt pointer la crainte que la double crise économique et des finances publiques ne pèse principalement sur eux ? Les deux aspects poussent évidemment à la prudence. Mais plus ce second élément se voit attribuer une pondération élevée, plus le choix en faveur de l’épargne s’en trouvera confirmé.
Essayons cependant de pousser le raisonnement un peu plus loin. Faisons l’hypothèse que la confiance revienne « vite et haut » avec le déconfinement et la vaccination. Le taux d’épargne est, rapidement et de façon ample, ajusté à la baisse. Est-ce en substance inflationniste ? Cela dépendra pour beaucoup du mix-produits/services privilégié. Plus la préférence se portera sur des marchandises produites au niveau mondial, moins l’effet-prix sera marqué. En revanche si l’arbitrage est résolument en faveur de services domestiques, alors le risque d’une réaction plus marquée des prix serait plus important. Mais il faudrait alors que les loyers s’emballent ; ne pèsent-ils pas 56% de tous les services hors énergie ? Est-ce crédible ? Sans doute, peu.
Finissons ce regard par un rappel : de l’amont à l’aval du processus de transformation et de distribution, les pertes en lignes pour ce qui est de la dynamique des prix sont très importantes. Le point est d’actualité, face à la remontée du cours des matières premières. En un an (de mars 2020 à mars 2021), le glissement sur un an de l’indice S&P – GSCI du prix de celles-ci est passé de -42% à +85%. Dans le sillage, celui des prix à la production au niveau de la demande finale (hors énergie et produits alimentaires) a accéléré de +0,3% à +2,5%. Quant au noyau dur des prix à la consommation, il est resté très stable, oscillant entre +1,2% et 1,7%.
Source : La Banque Postale Asset Management par Hervé Goulletquer, stratégiste à LBP AM