Bertrand ALFANDARI est Responsable du développement des ETF chez BNP Paribas Asset Management. Après nous avoir donné son sentiment, dans une précédente interview, sur l’avenir de l’ESG en gestion indicielle, il nous apporte son éclairage sur l’économie circulaire, qui devient une tendance lourde : celle de repenser entièrement le choix des matériaux et des usages tout en limitant au maximum la consommation et les gaspillages de ressources ainsi que la production des déchets.
FundsWatch : Nous avons tous quelques principes de base en tête, mais pour aller plus loin, pouvez-vous nous donner davantage de clefs de compréhension sur ce qu’est l’économie circulaire ?
Bertrand ALFANDARI: La finalité centrale d’un modèle économique circulaire est de limiter l’utilisation des ressources naturelles, en particulier celles qui ne sont pas renouvelables, et de limiter au maximum la création de déchets. Ce modèle consiste donc à repenser entièrement le choix des matériaux et des usages tout en limitant la consommation et les gaspillages de ressources (matières premières, eau, énergie) ainsi que la production de déchets et la pollution.
Il faut l’appréhender comme un nouveau paradigme économique qui refond complètement le cycle de vie du produit, et ce à tous les niveaux, dès sa conception-même. Ce modèle fonctionne, comme son nom l’indique, en boucle, et devrait progressivement se substituer au modèle économique encore dominant, celui de l’économie dite linéaire, que l’on connaît depuis la Révolution Industrielle, à savoir : j’extrais des ressources, souvent peu renouvelables, je produis, je consomme et je jette, en essayant dans le meilleur des cas de recycler… sauf que rien n’est pensé pour cela en amont.
Il faut donc revoir dans son intégralité le cycle de vie des produits (conception, fabrication, emballage, distribution, promotion, utilisation), pour que le minimum de ressources naturelles soient consommées, que le maximum des composants soient réutilisés et donc le minimum de déchets soient produits. Cela passe nécessairement par de nouveaux modes de production et l’intégration systématique des aspects environnementaux dès la conception et le développement de produits (on parle « d’écoconception »). C’est valable dans de multiples domaines : l’industrie, le bâtiment, mais aussi le textile ou les nouvelles technologies.
Le but est de minimiser les déchets et d’optimiser la vie du produit, via le recyclage, mais aussi de prévoir en amont la remise à neuf, le réemploi, la réparation, le partage, la location… Dans ce modèle, on change de prisme : on ne voit plus l’objet comme appartenant à une personne ou à un foyer, mais comme un bien destiné à être utilisé par plusieurs familles, loué, ou mis à disposition collective, à l’échelle d’une copropriété ou d’un village par exemple.
Alors qu’un simple lave-linge nécessite 2 tonnes de ressources pour la fabrication de l’ensemble des pièces qui le constituent, 9 Français sur 10 sont persuadés qu’un produit électroménager n’est pas conçu pour durer ! Cela en dit long sur le degré d’acception implicite, encore et toujours, du phénomène d’obsolescence programmée, ennemi juré de l’économie circulaire.
Pour les 2,5 tonnes d’objets qu’un Français a en moyenne, chez lui, il aura fallu mobiliser 18 fois plus de matières premières, soit 45 tonnes, pour les fabriquer, selon l’ADEME (Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie) !
L’économie circulaire représente par conséquent une véritable exigence, qui dépasse le cadre de la gestion financière passive et de la gestion d’actifs plus largement, et qui n’est pas près de s’arrêter. Voilà pour le modèle théorique, qui est passionnant.
FW : A vos yeux, ce modèle est-il incontournable ?
BA : Selon les experts de ce sujet, nous allons inexorablement épouser ce modèle-là, et dans un avenir proche. Le modèle linéaire n’est tout simplement plus viable, puisque nous faisons face à un mur : l’épuisement programmé des ressources naturelles non renouvelables, et l’accumulation des déchets qui devient ingérable, en particulier plastiques. Toutes les parties prenantes (concepteurs, producteurs, consommateurs, investisseurs, fournisseurs, législateurs), devront impérativement faire évoluer le modèle vers plus de durabilité des biens et des services, quitte à transformer les biens en services. Il y a donc une évolution culturelle à accompagner, notamment concernant le partage et la location.
Rendez-vous compte : une perceuse, sur l’ensemble de sa « vie », ne dépassera guère une heure d’utilisation, en moyenne ! Si l’on met en perspective les intrants nécessaires à la production de l’outil, et la durée cumulée de son utilisation par un particulier, avouez qu’il y a de quoi s’interroger… Pour autant, chaque foyer a souvent le réflexe, l’envie peut être, d’être propriétaire de SA perceuse. Mais les mentalités évoluent, et on le voit bien notamment sur l’automobile, avec le développement fulgurant des offres de locations longue durée, ou celui des services d’autopartage. Ces services de mise à disposition de véhicules sont justement un exemple éclairant de l’économie circulaire : la voiture n’est plus ici une propriété, mais un service de mobilité.
Autre exemple, dans le domaine des nouvelles technologies de télécommunications : le passage à la 5G va obliger nombre d’entre nous à changer une énième fois de téléphone, et c’est autant de tungstène, de lithium et de métaux rares qui seront extraits, avec toutes les conséquences en termes d’épuisement complet de certaines ressources, de pollution et de risque d’explosion des cours. Autant l’anticiper dès le lancement des nouveaux téléphones.
La conséquence vertueuse d’un modèle circulaire fonctionnant à grande échelle, c’est que cela se traduit forcément par un impact positif sur l’environnement, avec in fine en outre une réduction des émissions de gaz à effet de serre.
Rappelons qu’en 2018, il aurait fallu 1,7 planètes pour satisfaire les besoins de l’humanité sans pénaliser les générations suivantes. Dans le même ordre d’idée, on évoque le « jour du dépassement mondial » qui au cours de l’année marque le moment ou la planète devient déficitaire et consomme ses réserves pour satisfaire la consommation mondiale. La Terre était encore excédentaire en 1961, mais avec le début de la mondialisation, elle a basculé dans un déficit où l’humanité consomme plus de ressources que ce que la Terre est capable de régénérer, sur une année donnée. Aujourd’hui, cette date de dépassement s’établit autour de la fin juillet… Et des métaux, comme le nickel, l’argent, le zinc ou le cuivre, pourraient être à court terme en situation de pénurie, avec le risque d’envolée des cours, voire de conflits.
Lorsque l’on se projette en 2050 – c’est demain ! –, avec une population mondiale de 10 milliards d’habitants, l’avènement d’un modèle économique circulaire devient évident.
FW : Tous ces éléments vous ont amenés à réagir chez BNPP AM ?
BA : Nous considérons que les entreprises qui vont rapidement adopter ou amplifier un modèle d’économie circulaire sont celles qui vont le mieux s’en sortir, parce qu’elles auront négocié le virage à temps, su réduire leurs coûts de production et de gestion des déchets, et gagner en compétitivité, en réduisant par la même occasion leur empreinte carbone et les risques induits pour leur réputation. Tous les secteurs sont concernés par l’économie circulaire, mais il y a des secteurs plus sensibles que d’autres : le textile, le BTP, les mines, les aciéries, la construction automobile, les équipements télécom. Un éventail de services à développer voire à inventer, voilà autant de nouvelles opportunités de développement et de relais de croissance pour les entreprises prenant ce virage dès à présent.
Clairement, nous avons la conviction que l’économie circulaire n’est pas un effet de mode, une énième lubie d’investisseurs, mais une tendance majeure et durable, une « mégatendance » un « megatrend » comme disent les anglo-saxons. C’est une thématique qui est importante pour BNP Paribas Asset Management, et c’est pourquoi nous avons en interne des experts de l’économie circulaire, spécialisés notamment sur les activités de financement d’entreprises.
Et, c’est dans ce cadre que nous avons lancé un ETF thématique sur l’économie circulaire, un investissement de conviction une fois que l’on en a saisi les enjeux.
FW : Justement, concernant l’ETF, qui réplique l’indice ECPI Circular Economy Leaders, comment le fournisseur d’indice a-t-il sélectionné les entreprises le composant ?
BA : Nous avons étudié la robustesse de la méthodologie d’ECPI, fournisseur d’indices, acteur disposant d’une forte expertise ESG depuis 20 ans et avec qui nous avons travaillé des mois durant sur cette thématique. Pour ce faire, nous nous sommes fondés sur la classification de l’économie circulaire du cabinet Accenture, et ses cinq grandes catégories : la conception, la récupération des matériaux, l’extension de la durée de vie d’un produit, les plateformes de partage, et l’offre de produits en tant que services (cloud, leasing, échange de biens). L’indice est ainsi constitué d’une liste finale de 50 sociétés à grosse capitalisation boursière, équipondérées, et diversifiés sur les secteurs considérés comme éligibles par les analystes d’ECPI.
L’indice est ensuite validé par notre « Sustainability Center », l’équipe interne d’analystes extra-financiers de BNP Paribas Asset Management. Il incorpore des poids lourds de la cote mondiale qui ont démontré significativement leur engagement en matière d’économie circulaire, comme LVMH, Cisco System, Kering, Schneider Electric, Caterpillar, IBM, ou encore le fabricant danois d’éoliennes Vestas. Le fonds bénéficie du label « ISR » de l’Etat français et du « Towards Sustainability » (label belge). Depuis la création de cet indice en juillet 2017, celui-ci a surperformé de façon significative l’indice MSCI World, avec moins de volatilité.
FW : Quelle est la typologie de la clientèle ?
BA : Traditionnellement, sur la gestion indicielle, nous avons plutôt une clientèle professionnelle, mais sur les thématiques ESG au sens large, il y a une forte appétence des particuliers, intermédiés par des distributeurs ou non. Le fonds, lancé en mai 2019, est très rapidement monté à un niveau d’encours significatif, nous permettant de nous affranchir des problématiques de ratio d’emprise, libérant mécaniquement un fort potentiel d’attraction pour les investisseurs professionnels. Au 1er avril 2021, son encours dépasse les 350 millions d’euros.
C’est le premier ETF du marché à avoir été lancé sur la thématique de l’économie circulaire. Nous voulions nous positionner tôt, comme nous l’avions fait il y a déjà de nombreuses années (2008) sur la thématique « bas carbone », et avoir ainsi un temps d’avance pour disposer dès que possible d’un historique de performances suffisamment long pour assurer la crédibilité du placement, et intéresser la génération des « millénial », ou génération Y, particulièrement sensible aux questions d’environnement.
Retrouvez les caractéristiques de l’ETF sur Euronext Funds 360
Propos recueillis par Alexandre TIXIER
Source : Funds Watch
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