Marchés : Hier, les bourses ont accueilli avec joie la rafale de données économiques très favorables, appuyés par des résultats d’entreprises tout aussi robustes. En même temps, les taux d’intérêt à long terme, que ce soit en Europe et aux Etats-Unis ont baissé de manière marquée. Evidemment, le mouvement d’un jour n’est pas une tendance et ne dois pas être sur-interprété. Néanmoins, l’évolution des taux longs interpelle. Ainsi, revient la question à laquelle on est confronté depuis au moins une décennie, c’est-à-dire, qu’est-ce qui détermine les taux longs et plus spécifiquement les taux réels ?
Alors que les bourses, notamment américaine, touchaient des nouveaux sommets, les taux longs se sont repliés en Europe comme outre-Atlantique. Ce mouvement peut sembler très étonnant au regard des d’information reçues pendant la journée. En effet, nous apprenions que le consommateur américain revenait en force, avec des ventes de détail qui plus que corrigeaient le trou noir crée par le mauvais temps en février. Ce sursaut important de la consommation traduit surtout l’effet de l’ouverture de l’économie et l’impact des chèques du gouvernement reçus par les ménages au cours du mois. De même, dans le secteur manufacturier, la dynamique de reprise se poursuit avec force, comme nous l’a montré l’indicateur de la Fed de New York (Empire State index), qui retrouve des sommets vus il a plus de 6 ans.
En même temps, alors que l’industrie semble se réveiller, les statistiques de production industrielle montrent un rebond modéré sur le mois de mars, même en excluant les variations fortes des activités de distribution d’énergie compte tenu des conditions climatiques. Néanmoins, tout pousse à penser que les données à venir devraient montrer une accélération de la production dans tous les domaines devant une poussée importante de la demande.
Ainsi, comme nous l’avons constaté depuis plus d’une décennie, l’évolution des taux longs peut tout simplement se « déconnecter » de la réalité économique. Les taux d’intérêt de long terme deviendraient un prisme un peu biaisé, alors qu’on voudrait penser qu’ils devraient transcrire la réalité économique à venir.
Ceci, comme nous le savons tous, se traduit en particulier dans l’évolution des taux réels à long terme. Par taux réels, il faut comprendre la différence entre les taux nominaux constatés et les anticipations d’inflation que l’on peut extraire des taux indexés sur l’inflation. Les taux réels intégrant donc aussi une partie de la prime de terme qu’on voudrait retrouver sur les taux à long terme.
Alors que la croissance semble bien orientée voire en forte accélération sur plusieurs trimestres, les taux réels aux Etats-Unis restent non seulement déprimés mais à des niveaux très négatifs. En fait, proche des niveaux les plus bas atteints historiquement. En même temps, les anticipations d’inflation sont au plus depuis près de 10 ans.
La raison essentielle derrière cette évolution tient à la politique monétaire. Théoriquement, ceci ne fait pas complétement sens. On devrait penser que sur les maturités longues le marché construit ses propres anticipations, basées sur une multitude de variables économiques y compris en y déterminant l’évolution future du taux réel du taux directeur de la banque centrale. Ainsi, à terme, le taux nominal devrait être assez « indépendant » du niveau des taux directeurs d’aujourd’hui. Il semble bien que ce n’est pas le cas. En fait, dans la réflexion académique, notamment celle qui s’est développé après l’éclatement de bulle internet au début des années 2000 et qui a suscité des fortes craintes déflationnistes, que ce soit les travaux de Bernake ou de Woodford, on converge sur l’idée que l’utilisation de politiques non conventionnelles (i.e. l’achat massif d’actifs per exemple par la banque centrale) avec un engagement fort de maintenir des taux directeurs faibles voire proche de zéro pendant longtemps peut avoir un impact considérable sur les taux longs et permettre, notamment, de combattre efficacement un choc déflationniste. Ainsi, dans un tel dispositif, les taux longs pourraient rester faibles même une fois une fois que l’économie a redémarré et s’écarte donc du risque déflationniste.
D’une certaine façon, les plus de dix ans qui viennent de s’écouler aux Etats-Unis, mais aussi en Europe, semblent démontrer que cela « fonctionne ». En même temps, les distorsions et conséquences que cela peut provoquer sur la sphère financière n’ont pas été beaucoup analysés. En fait, ils sont toujours vus comme englobant un risque faible, que ce soit du fait de la montée de l’endettement ou des valorisations des actifs très élevées, par rapport aux bénéfices de permettre à l’économie réelle de prospérer.
Evidemment, d’autres facteurs extra-économiques peuvent contribuer à maintenir les taux longs faibles. En particulier, un des facteurs les plus cités est la demande mondiale d’actifs sûrs. Les Treasuries américains étant considérés comme l’actifs le plus sûrs et donc sur eux s’exerce une pression considérable de la demande mondiale, d’autant plus dans un monde où la richesse financière s’est accrue fortement dans une période de globalisation très prospère.
En même temps, la dynamique de l’inflation au cours des dernières décennies, et notamment la dernière, et à coup de chocs déflationnistes, a aussi été très modérée, confortant le besoin de maintenir une politique monétaire extrêmement accommodante.
Il est d’ailleurs instructif de comparer l’évolution des taux réels entre les Etats-Unis et le Japon au cours de 20 dernières années. En effet, le Japon reste considéré comme le pays soumis à une crise déflationniste prolongée depuis l’éclatement de sa bulle financière à la fin des année 80. Cette fois-ci, considérons donc l’écart observé entre les taux réels définis comme l’écart entre le taux nominal à long terme et l’inflation constaté. On peut observer qu’en moyenne les taux « réels » américains sont restés bien plus faibles. Aujourd’hui, nous constatons un écart extrême, même si pas les plus important.
Au total, il est assez certain que le poids de la politique monétaire joue un rôle primordial dans la formation des taux longs et ceci ne devrait pas s’arrêter rapidement, si on l’on croit les indications données par les banquiers centraux américains, et évidemment ce ne va pas non plus changer en Zone Euro.
Néanmoins, si nous revenons au plus court terme, on peut s’interroger si la force de cette digue construite par les banquiers centraux peut tenir sans présenter aucune brèche devant une réalité qui devrait s’avérer assez hors du commun dans la sortie de cette crise inédite. En effet, la croissance devrait être très forte sur les trimestres à venir et l’inflation accélérer de manière prononcée. Evidemment, la question de l’atterrissage en 2022 sera primordial dans l’évolution des anticipations du marché. En ce sens, l’idée simple qui consiste à penser que la « surchauffe » des trimestres à venir sera sans conséquences, même si pas insensée compte tenu du poids de l’histoire récente, peut tout de même être questionnée.
Ainsi, nous pensons, que malgré le mouvement d’hier, la tendance des taux longs est bien à la hausse. Nous tablons toujours sur une hausse « raisonnable » qui ramènerait els taux longs à 10-ans au-dessus de 2% vers la fin de l’année. Evidemment, pour nous le risque aujourd’hui est de nous tromper, non pas en surestimant la hausse mais au contraire craignant une « révolte » plus importante du marché obligataire. C’est dans ce scénario de montée graduelle que nous pensons que les actifs risqués peuvent encore surprendre à la hausse, notamment les actions. Le contexte offert à court terme par la politique économique vient encore amoindrir les inquiétudes sur des valorisations très exigeantes que nous voyons dans presque tous les marchés.
Le mouvement d’hier sur les taux longs interpelle. Il est encore une marque de la situation inédite que nous vivons. Certes on pourrait attribuer cela simplement au positionnement du marché qui reste plutôt « short » sur les emprunts d’Etat américains, ce qui peut se traduire par des mouvements très prononcés quand un vent contraire souffle. Ou au retour des investisseurs internationaux qui viennent profiter d’un rendement plus attrayant outre-Atlantique.
Toutefois, nous pensons que la force de rappel du positionnement extrêmement accommodant de la Fed continue et continuera à jouer un rôle considérable dans la détermination des prix des emprunts d’Etat à maturité longue, les maintenant à des niveaux élevés. En même temps, la force de la réalité économique devrait pousser, à notre avis, les taux longs vers des niveaux bien plus élevés dans les trimestres à venir.
Source : La Banque Postale Asset Management