On se souvient, il-y-a une trentaine d’années de cela, d’une doxa économique et financière très libérale. Eh bien elle évolue vers quelque chose de plus interventionniste. Le marché s’en aperçoit-il ? Le chiffrage des initiatives budgétaires de l’Administration Biden a donné le tournis aux observateurs et aux marchés. Peut-on tenter de garder la « tête froide » ? La « vraie » accélération des prix à la consommation aux Etats-Unis, c’est pour maintenant et au moins pour un petit temps. Va-t-on être capable de prendre du recul ?
Je souhaite insister sur trois points qui me semblent importants : le nouveau consensus de Washington, la mesure de la politique budgétaire de l’Administration Biden et le profil des prix américains.
Le premier est donc le sorte de nouveau « consensus de Washington », qui a semblé être « porté sur les fonts baptismaux » lors des réunions du FMI et de la Banque Mondiale la semaine dernière dans la capitale fédérale américaine. Souvenons-nous de la fin de années 1980, ne disait-on pas que pour sortir durablement d’une situation de crise économique (cela valait avant tout pour les pays en développement) il était nécessaire de suivre les règles suivantes : la discipline budgétaire, des taux d’intérêt déterminés par le marché, la libéralisation des échanges extérieurs et la dérèglementation. Les préceptes du libéralisme économique et financier se mettaient en place.
Un peu plus de trente ans plus tard, le regard s’est transformé. Croissance inclusive et adaptation de l’économie aux règles exigées par la nature et la technologie imposent leur loi :
- Une politique budgétaire de soutien, pour éviter que les pertes de croissance économique soient irrémédiables ;
- Des mesures structurelles pour assurer que le potentiel de croissance soit conservé, voire augmenté ; en faveur de l’éducation, de la formation, de la transition environnementale et de la transformation digitale au premier chef ;
- Ce volontarisme devra être financé ; afin d’éviter une dégradation pérenne des finances publiques, des augmentations « exceptionnelles » de prélèvements sont à envisager : sur les entreprises réalisant des profits importants et sur les ménages aisés (parler d’impôts sur le patrimoine n’est plus un « gros mot »).
En la matière, là où on aurait dû attendre l’Europe continentale, ce sont les Etats-Unis de Joe Biden qui se parent des habits neufs de la politique économique adaptée à ce nouveau moment du monde. Et tout ceci est mis en place en mettant des grosses sommes d’argent « sur la table ». Le changement, qui plus est avec de la croissance, c’est maintenant !
Traitons donc du second point : quel regard porté sur ces plusieurs dizaines de milliers de milliards de dollars de dépenses nouvelles annoncées par la Maison Blanche et comment les traduire en points de PIB supplémentaires ? En la matière le dernier Fiscal Monitor, publié la semaine dernière par le FMI, apporte des éclaircissements intéressants. Ce qui n’empêche pas de compléter la vue avec d’autres regards.
Commençons par le plan de 1900 milliards de dollars, voté au Congrès plus tôt cette année. Au-delà de la question de son impact sur la croissance (quel niveau de multiplicateur retenir ? Nous en avons déjà discuté, pour conclure en faveur de quelque chose d’assez faible), il faut comprendre que les mesures de soutien sont organisées différemment de chaque côté de l’Atlantique. En France, par exemple, elles sont maintenues si nécessaire; aux Etats-Unis, on revote une nouvelle loi, une fois la précédente ayant atteint son terme.
En fait, les 1900 milliards ne sont pas pour l’essentiel des mesures nouvelles. A ce titre, ils maintiennent le stimulus déjà engagé plus qu’ils ne l’augmentent. Si on admet que la mesure de celui-ci est la variation du solde budgétaire structurel primaire (le solde budgétaire corrigé de l’impact des fluctuations conjoncturelles et défalqué du coût de la dette ; l’approche est certes un peu théorique, mais utile au moins pour faire de la pédagogie), alors le soutien fédéral à l’économie est significativement moins fort en 2021 qu’en 2020 : 1,5 point de PIB après 5,7 points. Ce qui bien sûr n’empêche pas tout un faisceau d’éléments d’apporter son soutien à l’économie. La politique budgétaire y a sa part, à côté de l’activisme monétaire, de la levée progressive des contraintes à la mobilité, de la confiance des entreprises, puis des ménages, qui s’améliore et du rattrapage du manque de dépenses des trimestres écoulés.
Passons au plan de dépenses en infrastructures. Il est d’une autre nature. Son ambition n’est pas de soutenir la croissance « immédiate » ; mais bien davantage d’entretenir et de moderniser l’existant, de faciliter l’adaptation de l’économie et de favoriser si possible et sur la durée une hausse du potentiel de croissance. Son montant est énorme ; cependant, année après année, il ne pèse guère plus d’un point de PIB. Et puis, il n’est pas sans contreparties qu’il faut bien intégrer pour apprécier la trajectoire future de l’activité aux Etats-Unis : le relèvement de la pression fiscale sur les entreprises, le durcissement de la règlementation dans un certain nombre de secteurs (à préciser) et l’appel à la création d’emplois bien payés (et syndiqués). Mesurer Hic et Nunc l’effet de court et de moyen termes sur la dynamique de l’économie de toutes ces mesures souvent contradictoires les unes avec les autres est un exercice vraiment compliqué !
Pour finir ce commentaire sur l’orientation de la politique budgétaire aux Etats-Unis, rappelons que, comme ces arbres qui ne montent pas au ciel, le réglage à l’horizon des quelques années devant sera plus restrictif. C’est du moins l’hypothèse que le FMI retient.
Finissons par les prix américains. C’est aujourd’hui que sera connu l’indice de ceux à la consommation pour le mois de mars. Le glissement sur un an de l’indice d’ensemble passerait de 1,7% à 2,5% si on en croit le consensus Bloomberg. On perd le -0,3% sur un mois de mars 2020 et on gagnerait un +0,5 point un an plus tard. Dans les deux cas, il y a un effet pétrole. Il n’empêche que le profil va « émouvoir » un marché de capitaux devenu sensible à la thématique de l’inflation. Au point probablement d’accorder une attention plus faible à l’évolution de l’indice « noyau dur », c’est-à-dire hors l’énergie et les produits alimentaires. Le glissement sur un an passerait de 1,3% à 1,5%. Remarquons toutefois que par un semple « effet-base » il accélérera en avril.
Pour tenter de clarifier le débat, faisons deux remarques. D’abord d’un point de vue analytique, trois points sont à garder à l’esprit :
- Il existe des pressions haussières tout en amont du processus de transformation et de distribution ; significativement moins en aval ;
- Cela peut-il changer avec des entreprises qui réussiraient à passer à la clientèle les hausses de coûts subies ?
- Il faut intégrer alors au raisonnement la question du profil des coûts salariaux unitaires ; vont-ils accélérer ? je dirai non, ou au moins pas beaucoup ; mais la réponse peut être débattue.
Ensuite, n’oublions par le point de vue de la Fed : elle veut une accélération des prix, qui ne serait qu’un rattrapage du tempo trop faible des années passées, tout en considérant que les anticipations inflationnistes restent et resteront bien ancrées. Le marché s’interroge davantage.
Source : La Banque Postale Asset Management par Hervé Goulletquer