Alors que le monde s’efforce d’atteindre les objectifs de l’Accord de Paris sur le climat, nous assistons déjà à une transition énergétique de grande ampleur. Mais quelles en seront les conséquences pour les populations les plus démunies ? Comment faire en sorte que la politique climatique ne crée pas de nouvelles inégalités ? Et quelles sont les incidences sur les investisseurs ?
La course est lancée
De nombreux capitaux politiques et financiers sont consacrés à la lutte contre le changement climatique en 2021. Les particuliers, les entreprises, les investisseurs comme les responsables politiques sont de plus en plus conscients de l’importance et de l’urgence de la question climatique. On le voit dans la politique : l’orientation verte de la nouvelle administration Biden aux États-Unis, la poursuite du déploiement du Green Deal en Europe et les nouveaux objectifs climatiques ambitieux de la Chine. Il en va de même dans les pratiques d’investissement : les investisseurs se tournent de plus en plus vers les solutions vertes, à la fois pour encourager la transition et pour profiter des opportunités de croissance associées.
Une crise mondiale
Il va sans dire que pour lutter contre le changement climatique, il faut remplacer les combustibles fossiles par des sources d’énergie renouvelables. Les répercussions sur l’économie mondiale sont profondes. Cette transition annonce la fin de la production des combustibles fossiles, et il faudra revoir en profondeur les chaînes d’approvisionnement dans de nombreux secteurs, notamment dans l’industrie manufacturière et le transport. Le monde devra également créer de nouveaux réseaux de production et de distribution d’énergie verte.
Le prix à payer
Cette transition énergétique s’accompagnera de nombreuses opportunités d’emploi dans l’exploration, l’extraction et la distribution des énergies renouvelables, ainsi que dans l’adaptation des entreprises. Toutefois, le passage à des combustibles non polluants à l’échelle mondiale aura également pour conséquence la fermeture d’usines d’extraction d’énergie qui sont le moteur de communautés et d’économies entières. Sans une gestion efficace, la transition pourrait avoir de graves conséquences sur les populations.
Les politiques importantes et bien intentionnées visant à accélérer la transition écologique risquent de frapper plus durement les ménages les plus pauvres. Par exemple, la suppression par les gouvernements des politiques de subventionnement des énergies fossiles risque d’entraîner une hausse des prix de l’immobilier et des transports. Les ménages plus aisés pourraient se tourner vers des énergies plus vertes et des voitures électriques à travers des programmes de primes mis en place par les pouvoirs publics. Cette transition aura néanmoins un coût que les ménages les plus pauvres ne seront pas en mesure d’assumer.
Ces disparités de revenus se retrouvent également au niveau des pays. Jusqu’à présent, les pays développés bénéficiaient d’une croissance adossée aux énergies fossiles. Pourtant, les pays émergents sont censés opérer une transition qui n’est pas sans coûts vers les énergies renouvelables afin de répondre aux exigences des pays développés. Dans le cas des pays émergents disposant de ressources en énergies fossiles, il s’agit notamment de renoncer à une énergie potentiellement rentable et peu coûteuse pour des populations déjà plus défavorisées que celles des pays développés.
Ces exemples mettent en évidence les externalités négatives de la transition énergétique sur le plan économique et social, qui pénalisent de manière disproportionnée les ménages et les sociétés les plus vulnérables aux niveaux local, national et mondial.
Une transition équitable
Mais tout n’est pas perdu. Les responsables politiques ont l’opportunité d’agir à tous les niveaux pour pallier les difficultés économiques et sociales de la transition énergétique. Ils peuvent également tirer parti de la transition pour créer des opportunités pour les populations laissées pour compte de la mondialisation et fragilisées par la crise de la Covid-19.
Les responsables politiques peuvent tirer parti de la transition pour créer des opportunités pour les laissés pour compte de la mondialisation, fragilisés par la crise de la Covid-19.
Au niveau local, si le passage aux énergies vertes entraîne l’arrêt de la production, les populations qui dépendent des revenus et des emplois des industries à forte intensité de carbone seront en danger. Celles-ci devraient être consultées dès le début de la transition politique afin que leurs préoccupations soient prises en compte dans les solutions politiques proposées. Ces solutions comprennent la requalification, l’aide sociale et les stratégies visant à créer une activité économique dans les communautés touchées. Par exemple, les installations de production d’énergie verte pourraient être aménagées sur les sites d’extraction de combustibles fossiles, afin de créer de nouvelles offres d’emploi.
Pour que ces efforts soient efficaces au niveau local, il faut que les populations fassent preuve de solidarité et que le gouvernement local comprenne les défis auxquels elles sont confrontées. Il est également important de pouvoir compter sur le soutien du gouvernement central en cas de besoin, que ce soit pour la protection sociale, le financement des investissements en infrastructures ou d’autres initiatives.
nsiLe gouvernement central a également un rôle crucial à jouer dans la mise en place de réglementations, de mesures incitatives et d’investissements nationaux en matière de climat. En réalité, pendant la période de transition, les populations risquent de perdre leur emploi. Si les principaux employeurs sont contraints de fermer, les communautés pourraient être touchées par la « fuite des cerveaux ». Dans ce contexte, deux messages importants doivent être entendus par les gouvernements. Tout d’abord, la politique climatique doit intégrer une analyse complète de l’impact économique avec la participation des entreprises et des citoyens. Les responsables politiques pourront comprendre ainsi pleinement les éventuelles retombées négatives de la politique climatique.
Puis, il s’agit d’un environnement qui exige une réglementation gouvernementale et un soutien fiscal intelligents, ce qui suppose à la fois de minimiser les coûts économiques et sociaux de la transition et de maximiser les possibilités de créer des emplois et des infrastructures verts. De par sa nature, la transition énergétique entraînera une augmentation des dépenses publiques, des investissements et de la réglementation. Une politique et une réglementation efficaces peuvent offrir un filet de sécurité et des opportunités à ceux qui risquent d’être laissés pour compte.
Quelles sont les implications pour les investisseurs ?
Pour les investisseurs, cela veut dire que les programmes de lutte contre le changement climatique impliquent une plus grande intervention de la part des gouvernements. Ce qui n’est pas une mauvaise chose ; c’est peut être un signe que les gouvernements prennent des mesures pour réduire les contrecoups de la transition et pour améliorer le potentiel de croissance à long terme.
Au niveau mondial, les choses se compliquent. Les gouvernements des pays développés qui sont au premier rang de la lutte contre le changement climatique doivent reconnaître les disparités que ce phénomène génère entre les économies avancées et les économies émergentes. En investissant et en aidant les pays émergents touchés, une plus grande adhésion mondiale aux solutions climatiques pourra se dessiner, et les sociétés des régions les plus pauvres pourront construire une industrie autour des technologies vertes.
Aucune de ces politiques n’est simple à mettre en œuvre, notamment en ce qui concerne l’opposition entre les pays émergents et les pays développés. Ces politiques sont toutefois essentielles, non seulement pour assurer une transition équitable, mais aussi pour minimiser les risques de la transition proprement dite. Le mouvement altermondialiste souligne les dangers d’une marée montante qui ne parvient pas à bénéficier à tous. Les décideurs politiques ne doivent pas commettre les mêmes erreurs avec le changement climatique. Le temps ne joue pas en notre faveur.
Cet article a été publié dans IFA Magazine et Wealth Magazine le 19 mars 2021.
Source : Aberdeen S.I