Le comité Pro Persona est un cercle de réflexion composé de philosophes, théologiens et d’experts de la finance, il vise à approfondir les questions éthiques qui se posent à l’activité financière et économique.
Sa mission ? Contribuer à une recherche fondamentale et appliquée en faveur d’une finance au service de l’économie et d’une économie au service de la personne humaine. Pour partager les fruits de ses réflexions, Pro Persona édite des Cahiers, découvrez le septième numéro de la séquence « Investissement éthique » :
On a progressé dans l’exigence d’investissement éthique, dans la pratique comme dans la réflexion. Celle-ci a été rassemblée dans un cadre quasi officiel sous le triptyque « environnement, social, gouvernance » ou ESG. Dans l’optique de la Doctrine Sociale de l’Église, on ne peut qu’approuver ces préoccupations. Mais peut-on se contenter de cet ESG ? Jusqu’où doit aller la réflexion en matière d’investissement éthique ?
Les critères ESG et la Doctrine sociale de l’église
Bien compris, l’investissement éthique devrait être la forme normale de l’investissement, même s’il recouvre des réalités variables. L’approche actuellement dominante est centrée sur les critères de l’environnement, du social et de la gouvernance (ESG). La prise en compte de la Doctrine Sociale de l’Église (DSE) conduit alors à deux questions à leur égard : comprend-on toujours la même chose ? Est-ce suffisant ?
Comme le rappelle Benoît XVI dans l’encyclique Caritas in veritate au n° 45 : « Pour fonctionner correctement, l’économie a besoin de l’éthique ; non pas d’une éthique quelconque, mais d’une éthique amie de la personne. Aujourd’hui, on parle beaucoup d’éthique dans le domaine économique, financier ou industriel.[…] Dans le monde développé, le système des certifications éthiques se répand à la suite du mouvement d’idées né autour de la responsabilité sociale de l’entreprise. Les banques proposent des comptes et des fonds d’investissement appelés « éthiques »[…] Ces processus sont appréciables et méritent un large soutien. […] Toutefois, il est bon d’élaborer aussi un critère valable de discernement, car on note un certain abus de l’adjectif « éthique » qui, employé de manière générique, se prête à désigner des contenus très divers, au point de faire passer sous son couvert des décisions et des choix contraires à la justice et au véritable bien de l’homme. »
La compréhension du sujet peut donc être différente d’un point de vue chrétien. La conception même de la société et de l’entreprise diffèrent, car la DSE les voit comme des formes de communautés ordonnées au développement des personnes humaines qui les composent et à leur bien commun, dans le cadre d’une éthique fondée sur une anthropologie objective. La DSE porte donc un autre regard, plus large, que les critères ESG, en l’état, ne parviennent pas à saisir pleinement.
Un autre regard sur l’environnement, le social et la gouvernance
L’environnement est le premier des critères pris en compte dans l’ESG. Le souci environnemental de la DSE est bien explicité dans l’encyclique Laudato si’ du Pape François. Celle-ci l’insère justement dans une perspective large, celle que le Pape appelle écologie intégrale, qui inclut la responsabilité spécifique de l’homme à l’égard de la création et l’écologie humaine dans son ensemble, à commencer par le respect de la dignité humaine des plus vulnérables (embryons, enfants, handicapés, personnes fragiles ou âgées). Cela débouche sur une philosophie d’ensemble sur ce qui est bon, neutre ou mauvais dans le processus de production actuel, au vu de son impact présent et futur sur l’environnement et sur l’homme comme sur les communautés. Cela va donc au-delà du développement durable au sens habituel, tout en l’intégrant.
Le social est le critère ESG le plus développé avec l’environnement, et vise ce qu’on appelle communément les ressources humaines. La DSE partage ces exigences importantes dans une très large mesure. Une divergence est toutefois à noter sur l’attitude à tenir au sein de l’entreprise au regard de la diversité des mœurs, thème à la mode dans bien des entreprises. Dans une optique chrétienne, tout en respectant absolument les personnes, on ne mettra pas pour autant sur le même plan la famille véritable qui intéresse toute la communauté et une vie privée qui, en soi, ne concerne pas l’entreprise. En outre, la prise en compte des exigences de la vie familiale sera bien plus marquée. Plus largement, l’entreprise y est comprise comme communauté d’hommes et de femmes, au service de la communauté plus large, le salarié devant pouvoir se réaliser dans son travail (cf. encyclique Laborem exercens de saint Jean-Paul II) et être associé aux décisions là où cela a un sens, conformément au principe de participation.
La gouvernance est le troisième critère ESG. Même si la DSE partage les préoccupations ESG, alors qu’elles sont pourtant souvent réduites au respect d’un pur formalisme (composition du conseil d’administration, parité procédurale, etc.), elle les intègrera dans la prise en compte de l’attitude éthique globale de l’entreprise. Elle développera ainsi des critères plus larges que la rentabilité, notamment dans les statuts ou la « raison d’être », qui seront envisagés, en dernière analyse, dans leur rôle au service du bien commun. Une politique s’inspirant de la DSE sera en outre exigeante face aux demandes financières des actionnaires : le principe de destination universelle des biens exclut qu’elle soit ordonnée à leur seul profit. Et la rémunération des dirigeants sera plus encadrée, notamment dans le respect de la justice.
De façon plus générale, la DSE conduira à remettre en cause la tendance latente dans les conceptions ESG à prioriser ces trois critères dans cet ordre et à les considérer comme trois préoccupations séparées. Ils ont besoin d’être approfondis et s’avèrent tous trois essentiels et liés dans la perspective de l’exigence morale et du bien commun.
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Source : Meeschaert par Cédric Meeschaert, Président du directoire