Si vous allez au casino avec l’intention de jouer pour gagner, vous risquez d’être déçu. Les casinos se remplissent les poches pour une bonne raison : les chances de gagner jouent en leur faveur. Mais les jeux de casino n’offrent pas tous la même probabilité de gains aux joueurs. Les jeux de pur hasard, tels que le craps, la roulette et les machines à sous, varient considérablement en fonction des cotes implicites proposées. Le parieur n’est qu’un outsider sans importance au craps et à la roulette. Par ailleurs, avec les machines à sous, les chances de gagner sont beaucoup plus faibles, mais les gains peuvent se révéler très importants par rapport aux mises. Au blackjack, les joueurs peuvent certainement améliorer leurs chances de gagner avec un peu d’adresse. Donc, si vous avez l’intention de repartir gagnant, il est important de bien choisir votre jeu et votre stratégie de jeu.
Imaginons un instant comment ces choix changeraient si le casino offrait de rembourser 10 % de toutes les mises perdantes. À coup sûr, la façon dont les joueurs attaquent le casino changerait brusquement, et ces maigres chances de gagner se transformeraient en légères probabilités. Choisir de ne pas jouer à des jeux peu rentables deviendrait un choix de jouer à des jeux un peu plus rentables. Ainsi, le joueur pourrait se sentir plus à l’aise pour miser plus gros. Ces modestes gains supplémentaires issus de jeux tels que le blackjack pourraient même servir à financer de nouvelles mises sur des jeux plus risqués, comme les machines à sous ou la roue de la fortune. Les joueurs plus prudents peuvent se contenter de rester assis de longues heures à la table de blackjack et de jouer le minimum de gains. Quoi qu’il en soit, un bon nombre d’entre eux seraient susceptibles de rester dans le jeu bien plus longtemps et de miser nettement plus qu’avant la nouvelle offre de remboursement de 10 %.
Cette comparaison peut sembler un peu tordue ou simpliste, et peut-être même grossière, mais elle est loin d’être dénuée de sens. Les marchés financiers ressemblent de plus en plus à un casino dans lequel la maison assure un filet de sécurité. Or, sur les marchés, il ne s’agit pas de la maison, mais des banques centrales. Depuis des dizaines d’années, les banques centrales du monde entier, en particulier la Réserve fédérale américaine (la Fed), jouent le rôle de chevalier blanc du marché. À chaque événement imprévu et à chaque ralentissement économique, la Fed et d’autres intervenants sont entrés en jeu pour fournir des mesures de relance monétaire, ce qui a permis de soutenir les actifs à risque. Ces actions ont toujours été justifiées sur le moment, mais avec le temps, elles peuvent donner aux investisseurs et aux acteurs du marché l’impression que les marchés sont manipulés. Ce phénomène risque de changer le comportement des investisseurs, d’augmenter la prise de risque et d’écarter les disparités qui n’augurent rien de bon. Les marchés se montrent forts en apparence, mais leur faiblesse et leur fragilité se font souvent ressentir. Les banques centrales ne cessent de prendre des mesures pour réduire cette fragilité, ce qui risque toutefois de susciter des comportements identiques à ceux qui en sont à l’origine.
L’année 2020 en est un autre exemple. Après la plus forte crise économique mondiale depuis au moins la Seconde Guerre mondiale, les actions ont atteint des sommets historiques et les investisseurs se sont montrés très optimistes. Difficile à croire ? Eh bien, il semble que 2021 est en passe de devenir une meilleure année pour la croissance économique et que, si ce n’est pas le cas, les banques centrales seront tout de même obligées de relancer l’économie à travers l’apport de liquidités et l’achat d’actifs. Dans les deux cas, les actions augmentent. Dans ce contexte mondial, le prix à payer pour les actifs à risque comme les actions n’est pas particulièrement déterminant.
Dans ce contexte, qu’est-ce que cela signifie pour les obligations ?
Si les actions peuvent choisir l’un ou l’autre de ces scénarios et s’en servir comme argument en leur faveur, la donne se révèle très différente pour les actifs obligataires. Si le marché se fourvoie et que l’année 2021 ne s’avère pas aussi prometteuse et positive que la plupart semblent l’espérer, une nouvelle intervention des banques centrales est presque inévitable. Les achats d’obligations se poursuivront très probablement, offrant ainsi de meilleures perspectives pour ces actifs. Certes, les gouvernements peuvent également réagir, ce qui se traduira par des déficits plus importants et une plus grande offre d’obligations d’État. Toutefois, une croissance économique fébrile et la désinflation pourraient inquiéter les investisseurs sur la capacité de financement des gouvernements ou la possibilité de trouver des acheteurs pour augmenter l’offre d’obligations d’État.
Cependant, si le marché ne se trompe pas, et que nous observons une hausse de la croissance et de l’inflation, les investisseurs en obligations risqueront d’en subir les conséquences. En effet, il serait normal de s’attendre à une hausse des rendements et à une montée en flèche des courbes de rendement, ce qui traduit bien les prévisions pour 2021. Et ces dernières sont tout à fait justifiées. Le déploiement des vaccins démarre à un rythme soutenu et, au vu des résultats positifs escomptés, il semblerait légitime de penser que les économies pourront retrouver un niveau proche de la normale au cours du second semestre de l’année. Il se peut aussi que nous assistions à une hausse de l’inflation. Les petites et moyennes entreprises, les magasins de proximité, les grandes enseignes et les prestataires de services locaux risquent de se trouver en état de faillite tout au long de l’année. La réduction consécutive de l’offre, en particulier au niveau local, pourrait très facilement faire monter les prix. Le prix du pétrole est également susceptible de contribuer de manière importante à l’inflation globale. Vers la fin du premier trimestre, le niveau bas de l’année précédente devrait se traduire par une inflation beaucoup plus élevée en glissement annuel. Les prix des autres matières premières augmentent également de manière significative, en partie à cause de la reprise prévue de la demande et des contraintes et perturbations de l’offre liées à la pandémie.
Dans un tel contexte mondial, il convient toutefois de se demander ce qu’il advient des banques centrales ? Le resserrement monétaire semble inenvisageable. La reprise économique est loin d’être terminée, et une grande partie des dommages économiques se situe encore sous la ligne de flottaison de l’afflux des liquidités d’après-crise. Les banques centrales seront encore plus prudentes dans la suppression des orientations accommodantes de la politique monétaire qu’elles ne l’étaient après la crise financière mondiale de 2008. Néanmoins, la montée de l’inflation et l’amélioration de la croissance peuvent tout à fait freiner un nouvel assouplissement monétaire. Dans un monde surendetté et confronté à des coûts de financement croissants, cette situation pourrait inciter les investisseurs en actions à réfléchir sérieusement à la question. Les fragilités sous-jacentes du marché des actions pourraient-elles être à nouveau exposées, mais les banques centrales moins à même de les aider ? Je n’écarterais pas cette éventualité, qui pourrait s’avérer être un environnement très favorable aux investisseurs en obligations d’État. Ceci m’amène à me demander si l’équilibre général des marchés est suffisamment stable. Après des dizaines d’années d’efforts pour créer de l’inflation, cette dernière ne serait-elle pas finalement ce qui oblige les banques centrales à démanteler le casino ?
Source : Aberdeen S.I