Politique : Aujourd’hui, le marché sera focalisé sur les indications que donnera la Fed sur sa politique économique dans un contexte de hausse des taux d’intérêt, de la potentielle sortie de la crise pandémique dans les mois à venir et de l’impact d’un plan d’un soutien budgétaire sans précédent dans une phase de reprise économique. Le plus probable est que la Fed va s’appuyer sur le niveau encore élevé du chômage pour défendre sa stratégie de conserver une politique très accommodante pour encore longtemps. En même temps, ses projections économiques devraient être revues nettement à la hausse pour 2021 et possiblement 2022, que ce soit pour la croissance et de manière plus modéré de l’inflation.
Dans un monde pas si lointain mais qui paraît ancien aujourd’hui, où trop d’inflation était le danger qui menaçait nos économies, un bon banquier central était celui qui s’inquiétait de voir trop de gens contents et pensait à « refroidir » l’économie. Aujourd’hui, le bon banquier central est celui qui tente par tous les moyens de rendre le maximum de personnes contentes afin de soutenir l’activité proche de son potentiel et ainsi réussir à ramener l’inflation proche de son objectif, soit, dans beaucoup de pays développés, autour de 2%.
Aux Etats-Unis, nous sommes confrontés aujourd’hui à une situation assez inédite. En effet, malgré les contraintes imposées par la crise sanitaire, l’économie a relativement bien résisté et surtout a entamé un rebond très prononcé depuis plusieurs trimestres. En partie ce rebond, a été la conséquence de politiques économiques de soutien considérables.
Il se trouve qu’au 1S21, l’économie va recevoir, selon nous, en deux séquences une stimulation historique proche de 12 points de PIB, due aux plans de soutien budgétaires successifs qui ont été adoptés. Ces 12 points reflètent la totalité des 900 milliards de dollars du plan adopté en décembre et 80% de 1900 milliards de dollars de celui adopté en mars. En effet, il est probable que la totalité du dernier plan de soutien ne sera pas utilisé en 2021. Mais, ce chiffre reste astronomique ! Ceci est sans commune mesure avec la perte d’activité dont a souffert l’économie américaine en 2021 (le PIB a reculé de 3,5%). Ainsi, la totalité des plans de relance représentent plus du double de ce qu’on peut estimer étant l’actuel « déficit » de croissance ou « ouput-gap » dont aurait souffert l’économie américaine pendant cette crise.
La question qui pourrait se poser est donc bien celle d’une surchauffe sur la période à venir. Une surchauffe qui pourrait être prolongée si le gouvernement Biden arrive à approuver un nouveau plan de relance, cette fois-ci orienté vers des dépenses en infrastructures, qui est déjà en train d’être discuté à la chambre des représentants.
Pour la Fed, une telle situation pourrait l’amener à accompagner l’accélération attendue de l’activité par une modération de la stimulation monétaire actuelle. En fait, ce n’est pas du tout la stratégie poursuivie. Ce qui est cherché, c’est justement de combler au plus vite l’output gap et éventuellement laisser l’inflation naviguer quelque temps au-dessus de l’objectif de 2%, afin de combler le « déficit » d’inflation provoqué par la crise. Cette approche est bien celle qu’avait déjà soutenue Mme Yellen quand elle était à la tête de la Fed. C’est celle dite de l’économie sous pression (« high pressure economy »), permettant de mieux ancrer les anticipation d’inflation à des niveaux plus satisfaisant après un fort choc désinflationniste, voire déflationniste.
Dans ce contexte, la Fed devrait laisser sa politique inchangée, toute en révisant à la hausse ses projections de croissance et d’inflation pour 2021.
Sur la croissance, au 1T21, celle-ci devrait être bien plus forte qu’anticipé précédemment, tout comme celle du 2T21. La consommation devrait être assez robuste et ce malgré le recul de la consommation en février, comme indiqué par la baisse des ventes au détail en février. En fait, cette baisse reflète deux facteurs. Le premier, une correction ( -3% en février à partir du mois précédent) qui fait suite à la très forte hausse de janvier (révisée à la hausse à plus de 7,6% sur le mois à partir d’une première estimation à 5,3% d’un mois sur l’autre). La consommation semble avoir été clairement stimulée par les chèques envoyés par l’Etat aux ménages américains.
Outre la croissance, l’inflation devrait aussi accélérer sous la pression d’une plus forte demande et les effets induits par la hausse de certains produits qui avaient souffert pendant la crise, notamment les matières premières. Celles-ci ont connu une progression très rapide au cours des 6 derniers mois.
La Fed, comme une grande partie du marché, ne croit pas à une accélération persistent de l’inflation. Certes, dans ses projections la Fed devrait montrer des révisions à la hausse pour 2021, mais les perspectives d’inflation devraient rester inchangées à moyen terme.
Au total, la Fed devrait conserver son optimisme prudent, en citant encore des incertitudes sur les variantes et sur la vitesse à laquelle le marché du travail pourrait retrouver une situation proche du plein emploi.
En revanche, à l’opposé de la BCE, la Fed même si elle va mentionner les risques que pourrait représenter une possible détérioration des conditions financières comme conséquence d’une e hausse trop rapide des taux longs, elle ne devrait pas adopter une position l’amenant à agir pour préempter ce possible danger. De fait, les conditions financières, mesurés par l’indicateur développé par Goldman Sachs, restent très accommodantes.
Pour les marchés, la confirmation d’une Fed, qui devrait maintenir sa position de soutien à l’économie pour encore plusieurs trimestres, devrait être perçue encore comme positive. Néanmoins, l’écart entre ce qu’anticipe le marché, c’est-à-dire des hausses des taux dès la fin 2022 et ce que les votants du comité de politique monétaire pensent, représenté par le « dots chart», devrait se maintenir.
Enfin, il est fondamental de retenir dans la différence d’approche entre la Fed et la BCE, que les autorités américaines font face à une situation très différente en termes de calibrage de la politique économique. La différence essentielle se trouve bien dans la politique budgétaire. La stimulation que va recevoir l’économie américaine est sans commune mesure avec ce qui est attendu en Europe. Les 12 points de PIB de soutien fiscal, soit bien plus important que la perte d’activité due à la crise, qu’on anticipe pour les Etats-Unis doit être comparée à un soutien bien moindre en Zone Euro, bien en deçà de la perte d’activité subie par la région. Ainsi, en Zone Euro, la BCE semble tentée, essayant de s’opposer à la montée des taux longs, de protéger la croissance faute d’un soutien budgétaire plus conséquent et rapide pour stimuler la croissance.
Source : La Banque Postale Asset Management Sebastian Paris Horvitz, Directeur de la Recherche